vendredi 15 avril 2016

Mise en maquette des Pavés de Syntagma aux Mardis midi








Mardi 12 Avril à midi présentation par la Cie du Rêve mobile de la maquette de la pièce m.e.s Sévane Sybesma.
Maquette très aboutie avec  Benoit Hamelin, Béatrice Vernet, Olivier Bourdrand, Dimitra Kontou MMaximilien Neujahr

Benoit Hamelin dans le rôle d'Athéna La Vieille.



Olivier Bourdrand dans le rôle d'Alekos, du gardien de prions et de Nikos





Sévane Sybesma et Louise Caron







Réflexions de l'auteur 




Les Mardis midi du Théâtre 13/Seine sont proposés par une association A.2M (Association pour les mardis midi) soutenue par les EAT.


C'est la rencontre du texte d'un(e) auteur contemporain avec un(e) jeune metteur en scène qui a choisi ce texte-là et pas un autre parmi les textes lauréats du Comité de lecture des EAT.



L'histoire commence par "Il était une fois" c'est logique pour une histoire.
En décembre 2014, j'avais envoyé ma pièce "Les pavés de Syntagma" au comité  de lecture des EAT, comme on jette une bouteille à la mer. En effet, écrire pour le théâtre n'offre guère de débouchés, à part écrire pour sa propre Cie, ce qui prive d'auteur d'une dimension supplémentaire : le regard extérieur, l'appropriation de ses mots par une autre personne. Ce que j'appelle la quatrième dimension.

Fin mars, le texte est sélectionné par le comité de Lecture Tous public. 


Quelques jours plus tard, les EAT me demandent si je suis d'accord pour que ce texte soit présenté à des metteurs en scène émergents. Je suis ensuite contactée par Sévane Sybesma finaliste du Concours Jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 en 2014.
Elle me dit avoir eu un coup de coeur pour le texte et désire le mettre en maquette.

Commence alors un échange de mails. Puis une rencontre en Octobre 2015 à Paris. Une autre avait été programmée le 14 novembre 2015 afin de rencontrer les acteurs qui travaillent avec elle sur le projet. Hélas, le 13 novembre des attentats meurtriers ensanglantent Paris.
On annule.
Après nous avons travaillé en concertation, par téléphone ou par mail.
Dès le départ, je lui ai exprimé mon désir de la laisser libre de ses choix. 
Ces échanges furent enrichissants sur le plan humain et artistique.

La maquette que Sévane nous a présentée était très aboutie. En elle-même, elle constitue un vrai spectacle. Pas besoin de lourds décors, de machineries, d'autres choses pour que vivent mes mots et qu'ils agissent émotionellement  sur les spectateurs. 

Des bruitages et quelques compositions musicales, la voix superbe de Dimitra Kontou donnent à l'ensemble un décor sonore suffisamment fort pour que chacun  soit emporté.

Sévane Sybesma montre dans cette mise en maquette un vrai sens du tragique. Ce sens trop rare aujourd'hui, présent chez quelques metteurs en scène comme Jean Bellorini ou Marie Lamachère. 

Elle sait ne pas en faire "trop". Elle évite l'écueil du rouge sur rouge dans la direction de ses acteurs. Le tragique de texte est souligné par la légèreté enivrante et juste de l'interprétation de ses comédiens talentueux. 

Réflexions de la metteur en scène

Ce fût une chance de pouvoir lire et découvrir une pléiade d'auteurs contemporains vivants et de les mettre en voix. 
Je me suis prêtée pour la première fois au jeu de la maquette et m'y suis engagée au même titre qu'une vraie mise en scène. 
Ma première ambition était de faire entendre le texte, tout en y apportant un éclairage personnel. Parmi tous les textes proposés, celui de Louise Caron s'est imposé à moi comme une évidence. Sa dimension tragique faisait écho à ma première mise en scène,"Papiers d'Arménie", présentée au Théâtre 13. Sa problématique très actuelle m'a interpellée.  
D'autre part,  c'est toujours très impressionnant d'avoir l'opportunité de rencontrer l'auteur des mots qu'on met en scène. La rencontre avec Louise a été simple et riche. Nos échanges ont nourri mon 
travail de mise en scène.



Quel public pour ce genre de manifestation:

La salle du théâtre 13/Seine était bien remplie, je ne sais pas combien exactement,  mais disons 80 personnes qui ont sacrifié leur déjeuner pour venir là, voir le théâtre advenir. Des relations des comédiens, quelques professionnels (J-L Paliès, L. Doutreligne) mais presque pas d'adhérents des EAT qui soutiennent les Mardis midi ? Elie Presmann, Sylvie Chenus, en tant que responsable du Comité de lecture qui avait sélectionné le texte. Jacqueline Schulz pour l'administration avec la nouvelle stagiaire...  Une ou deux personnes des EAT s'étaient excusées. Moi qui habite le fin fond des Cévennes, il est vrai que je suis coupée généralement de ces activités trop éloignées - toujours à Paris -, et que je suis venue là parce que mon texte était en jeu. Mais les Parisiens, les Franciliens ? Tous étaient-ils déjà engagés dans des répétitions, stages, voyages... ou bien n'est-ce pas symptomatique d'un désintérêt dans une association multiforme, ou de trop d'offres avec des emplois du temps trop chargés ? Nous nous sommes interrogées: est-ce que les auteurs seraient d'indifférents aux l'écritures (éditée aussi bien que scénique) contemporaines ? Je souligne ce point parce que nous l'avons évoqué à la fin lors d'une discussion intéressante avec Louise Doutreligne, Jean-Luc Paliès et Sylvie Chenus. Même si Sévane et moi étions les premières concernées par ce désintérêt, je n'ai pas été la seule à être surprise par ce manque de curiosité pour une auteur et une metteur en scène pas connues (émergeantes,  comme on dit ?), des gens qui ne font pas partie de ceux que les média illuminent de leurs feux ? Manque de curiosité et de reconnaissance aussi vis-à-vis de la sélection du Comité de lecture des EAT.

En revanche, le public des anonymes, ceux qui étaient venus écouter parce qu'ils aiment la découverte sont repartis enchantés, certains avec le texte en poche.

Après tout c'est pour eux aussi que j'écris et que Sévane met en scène. On sait très bien que nul n'est prophète en son pays ainsi en va-t-il d'un tout petit pays : Les EAT. N'y voyez nulle amertume juste un soupçon de regret pour le travail du Comité de lecture, celui des Mardis-midi, celui des comédiens de la metteur et scène.



Extrait de la deuxième partie : La maturité

"Athéna, en robe élégante s’assoit sur le canapé.

— Aujourd’hui, j’ai quarante-quatre ans
Lumière ! Musique maestro !
(Une boule à facettes renvoie la lumière des projecteurs. Un tube de l’année 87 démarre très fort. Athéna se lève et commence à danser jusqu’à épuisement. Elle vient s’asseoir au bord de la scène, les jambes pendantes.)
Les oliviers dont en fleurs.
La chaleur enveloppe la ville de torpeur on est en mai.
La paresse l’emporte sur l’étude, dans la classe les tables ont été repoussées, au tableau noir, en lettres de craie « Happy birthday Mrs Manangilis »
Mes élèves ont apporté un gâteau, des bougies des tas de bougies, trop beaucoup trop,
plus de cent.
Pour eux quarante-quatre ans c’est l’infini des jours, ils se fient aux rides aux cernes à la voix fêlée comme un vieux vase crétois, font-ils la différence entre Médée et moi ?
Pas sûr.
Ils m’interrogent comme si j’étais née aux temps antédiluviens, contemporaine de Io et de Poséidon.
(Elle danse)
Et comment c’était madame à l’époque — entendre dans la nuit des temps — à l’époque où il fallait combattre pour la liberté.
Était-il effrayant ce Papadopoulos
Avait-il vraiment des lunettes noires
Mon père dit qu’il dormait avec
Il déconne ton père les posait sur la table de chevet comme tout le monde
Est-ce lui qui torturait les opposants
Riait-il quand ils demandaient grâce
N’importe quoi ! z’encaissaient sans causer
Demander grâce ? T’es dingue z ‘étaient pas des lopettes les vieux
Paraît qu’il raffolait des yaourts bulgares, des fraises tagada, des grenouilles, des pines de cheval…
L’avez-vous vu Madame
Croisé
Marchait-il avec une canne
Mâchait-il du chewing-gum
En public se curait-il le nez
Boitait-il
On dit qu’il n’aimait pas les femmes
Qu’il était pédé
Ressemblait-il à un ogre ou à Michaël Jackson
Était-il malingre gras moustachu imbécile
On dit Madame qu’ils vous ont mise en prison
(Un temps. Elle s’assoit.)
Leur parler de moi n’a pas de sens mon arrestation fut une erreur, je préfère parler d’Andréa, des chars gris des bottes cirées des défilés kakis de la résistance, du bonheur que l’on construit malgré les dictateurs contre eux comme un pied de nez aux uniformes, un bras d’honneur à tous les Papadopoulos de l’univers, un trou d’air qu’on perce dans la chape de plomb avec un tire-bouchon.
Je leur parle du soir où nous avions chanté sur le port les complaintes interdites.
Du procès sans justice qui avait fait d’Andréa un symbole de la génération résistance.

Athéna La Vieille — De cette nuit où il était revenu vivant d’entre les morts.
(Un temps.)
Andréa se méfiait des symboles
Parlant de lui, mes mots étaient des torrents dévalant la pente s’usant sur les rocs s’accrochant aux branches s‘insinuant dans les fentes des jeunes esprits de mes élèves.
Ils m’écoutaient comme un oracle, jamais ils n’avaient été aussi attentifs.

Athéna — Je leur apprends qu’ils ne doivent pas oublier de se souvenir, d’être soupçonneux, de guetter la moindre faille, de juger sur les actes.
Les tyrans se camouflent en général au creux des plis des toges démocrates.
Et je leur parle d’Andréa encore et encore.
Certains qui n’ont pas vingt ans savent qui il était et ça me fait chaud au cœur.
(Elle danse)
On coupe le gâteau on le mange avec les doigts la crème dégouline en larmes vanillées et ça colle aux tables aux feuilles des contrôles aux pages des livres ça fait une barbe mousseuse sur le portrait de Kant une étoile de mer sur le front de Descartes, où est la raison où est la folie la frontière entre les deux.

Athéna La Vieille — Ils voulaient savoir pourquoi j’enseignais la philo et si j’avais des enfants et si j’étais heureuse et si les lendemains chanteraient pour eux.

Athéna — Ils pensent que l’avenir s’ouvre à eux maintenant que la Grèce a rejoint la belle Europe protectrice généreuse celle du commerce des banques de la circulation des biens et des gens.
Libres, libres libres, ils n’ont que cet envol à la bouche mes élèves
Et si
Et si
Et si
Tant de si à la fois
Si…
Ils ont seize ans, la Grèce des bergers s’ouvre au dieu argent.
L’avenir se présente rose sous les auspices des contrats on enterre Marx pour célébrer Fric.
Ils boivent des sodas qui piquent la langue rient de tout de rien.
Ils ont apporté des disques et dansent dans la cour, forment une longue farandole, serpent sinueux d’où montent exubérantes trente voix
Cent voix
La voix de la jeunesse
L’Hymne à la joie
 Beethoven attendri doit se réjouir dans sa tombe de tant de candeur espérante.

Athéna La Vieille — En vingt ans le soleil a terni l'Acropole et blanchi mes cheveux.

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