Commander l'ouvrage
Quatrième de couverture :
La pièce se déroule en un
lieu unique, l'atelier de Camille Claudel, le matin du 6 décembre 1905.
La
veille, une exposition
rassemblant des oeuvres majeures de l'artiste a eu lieu, avenue de la
Madeleine, dans la galerie d'Eugène Blot. Camille, qui a 41 ans, mène une
existence misérable. Elle souffre, depuis plusieurs mois par intermittence,
d’un délire de persécution. Depuis l’automne, elle est atteinte d’une bronchite
sévère.
Son frère, Paul — alors
consul de France en Chine — et plusieurs de ses amis craignent pour sa vie,
d'où l'idée de Blot, son galeriste, d'organiser cette
"rétrospective".
Ce matin-là, Paul vient
visiter sa sœur pour la raisonner afin de mettre fin à ses folies. Cela fait
plus de cinq ans qu’ils ne se sont pas trouvés en tête à tête.
Ensemble, ils vont évoquer
le passé, leurs amours difficiles, discutent d’art, de spiritualité. Paul
s’ouvre à sa sœur de ses tiraillements entre sa foi, son besoin de création et
ses désirs charnels. Ils tentent de renouer les fils de ancienne complicité
mise à mal par la liaison entre Camille et Rodin et par le départ de Paul aux
USA puis en Chine. Camille lui fait alors une étrange demande : l'emmener avec
lui en Orient. Ce voyage aurait-il le pouvoir de sauver Camille de ses maux ?
Paul, dans un élan de tendresse, l’envisage. Il promet de lui écrire, de lui
indiquer la date du rendez-vous pour les rejoindre, lui et sa femme, au
bateau.
Camille ne reçut jamais la
lettre, fut-elle seulement écrite ?
Ce qui s'ensuit — et que la
pièce n’aborde pas — est connu. La jeune femme meurtrie et déçue continua à
s'enfoncer dans son délire jusqu'à la folie et son internement en 1913.
Pour Paul, la
reconnaissance de sa poésie et de son théâtre; pour elle un enfermement
de trente ans en isolement dans un asile psychiatrique. De longues années
d’oubli avant que son talent soit pleinement reconnu du public.
Durée : 1h20
Les personnages: 1H /1F
Camille, 41 ans. Elle s’est
fanée depuis sa séparation d’avec Rodin cinq ans plus tôt. Elle a grossi et
néglige son apparence.
Paul, 37 ans. Consul de
France en Chine il est en congé en France avant de repartir.
Tous les deux ont gardé une
pointe d’accent picard.
Suggestion pour le décor :
Le décor unique est
l’atelier de sculpture de Camille Claudel, Quai Bourbon à Paris.
À jardin, de hautes
fenêtres sur tout un pan de mur fermées par des persiennes intérieures, et la
porte d’entrée donnant sur la cour de l’immeuble.
Des œuvres recouvertes de
linges humides, des plâtres, des cuvettes remplies d’eau.
Une table de bois sur
laquelle sont restées deux bouteilles de champagne vides, une bouteille de vin
et des verres sales. Dans un coin une ombrelle rouge.
Dispersés dans l’atelier :
des chaises, un paravent, un réchaud, une bouilloire, des lampes à huile et des
bougies. Un sofa délabré; une robe de satin rouge jetée sur le dossier,
Sur une sellette, une
esquisse de Persée et la Gorgone.
Près de la porte un balai
clouté.
On est le 6 décembre 1905.
Note d'intention de l’auteur
Tout est dans le texte
et toute tentative de mise en scène doit avant tout s’attacher à la vérité
portée par les mots et l’histoire rapportée. La seule liberté que j’ai prise
avec la réalité est d’imaginer le face-à-face de ce matin-là. La lettre promise
par Paul n’étant qu’une hypothèse qui m’a permis d’énoncer dans la dernière
scène, la position de Paul par rapport au caractère de sa sœur,
laissant place à ses doutes et aux remords.
La figure de ces deux
personnages — artistes géniaux chacun dans leur domaine — doit être respectée
dans leur apparence physique et leur qualité morale. Ainsi, les propos qu’ils
tiennent ne peuvent être infléchis ou interprétés vers des
contre-vérités.
Les raison en sont i)
le respect vis-à-vis de ces personnages historiques que l’on expose au
public, ii) le respect du travail de l’auteur qui s’est appuyée sur une étude
exhaustive des œuvres et des biographies, iii) pour éviter toute poursuite des
héritiers pour propos diffamatoires ou travestissement de la vérité.
La pièce est ancrée dans
une époque : la fin du XIX° siècle.
Cet ancrage est
primordial parce que les propos et les situations sont liés à l’air du temps.
La difficulté pour Camille d’être reconnue est liée à l’époque. Il a fallu
attendre la fin de la guerre de 14 pour que l’émancipation des femmes débute et
ce n’est que dans les années 1970 que leur statut bascule avec la loi Weil sur
l’avortement.
Le scandale provoqué par
la liaison de Paul avec Rosalie Wech est lui aussi dû au puritanisme du début
du XX° siècle. Enfin, l’antisémitisme de la famille Claudel est une résultante
de l’affaire Dreyfus, l’anti maçonnisme qui s’exprime chez Paul et Camille est
dû à l’émergence d’une classe dirigeante (intellectuelle et politique) laïque.
Ne pas oublier que la loi de la séparation de l’église et de l’état date
justement de 1905. Paul Claudel, converti au catholicisme à été la cible
privilégié d’une partie de ces élites. Il en a conçu un grand dépit, de même
que Camille dont une partie des œuvres a été rejetée par « l’administration »
de cette époque.
Il est donc important de
situer l’action dans l’époque concernée, il n’y a aucune transposition possible
sans une perte de sens qui dénaturerait mes propos. Ne pas gommer non plus que
Paul et Camille étaient des paysans et qu’ils le sont restés. Imaginer Paul
Claudel comme un phraseur snob, un salonard serait une grossière erreur.
L’écriture et
l’interprétation
Nul n’ignore que Paul
Claudel a développé un système de versification pour révéler l’oralité de la
pensée, bien mieux que ne le ferait la prose. Il est en cela un précurseur de
l’écriture contemporaine. Pour ma part, j’ai cherché le plus possible de rendre
compte de cela dans la façon dont Paul s’exprime dans la pièce. On y trouve le
rythme, la codification, une certaine poésie avec une recherche de l’oralité.
Si l’expression est lyrique, l’interprétation, elle, ne doit pas verser dans la
grandiloquence.
On gagnera à une mise en
scène épurée afin que l’œuvre de ces génies soit au premier plan, le décor
évoquant la sculpture de Camille. Un juste équilibre entre le montré (décor) et
le dit est souhaitable pour ne pas écraser les personnages et le texte, tout en
laissant au metteur en scène des possibilités immenses, tant sont présents, la
chair et l’esprit.
Ma pièce montre les
personnages à un moment où le désenchantement l’emporte. Ce mot évoque la part
sombre qu’ils abritent. L’évocation des amours mortes, des années de jeunesse
qui ne sont plus là, de la difficulté de l’art. Paul est dans le dépit
amoureux, Partage de Midi ayant été écrit dans un état de « folie », un
sentiment de vacuité. L’adresse de Mesa à Dieu est une supplique, une question
sans réponse. Paul en tant qu’individu cherche une réponse à son désarroi, à
ses besoins charnels, et le mariage lui apparaît être la seule réponse
possible.
Camille, elle, sombre
dans la misère et le délire de persécution avec une perte de ses repères.
Cependant, à sa volonté de créer s’oppose celle de détruire « ses enfants » ses
statues qui lui ont coûté tant de peine. Pourquoi veut-elle détruire ? C’est la
question. Auto destruction, masochisme ou simplement découragement et volonté
de ne pas laisser de traces, ne pas faire d’ombre à Paul.
Cependant, ni l’un ni
l’autre ne perdent le sens de l’humour qui les caractérise.
Un basculement se
produit à la fin de la séquence dans VALSE, avec l’émergence d’un souffle de
joie, de légèreté, l’espoir que les complicités du passé aient un pouvoir
magique. Dire c’est faire. Comme si la parole était performative. Sincèrement,
ils veulent y croire tous deux. C’est cette sincérité qui doit présider à
l’interprétation.
J’ai volontairement
voulu mettre la pièce en place dans ce lieu unique qui est l’atelier de
Camille. Les statues de cette époque (des équarrissages) témoignent d’une
lucidité cruelle sur elle-même et en même temps du génie de l’artiste.
Les mots clés : émotion,
sincérité, réminiscence, humour, partage, art, création, absence, amour,
tourments, désenchantement, lucidité, foi, déraison, légèreté.
Extrait de la pièce.
2
RONDO
La lumière monte sur le
plateau. Au lointain cour, un projecteur éclaire faiblement Camille Claudel,
assoupie en corset et culotte, ses bas roulés sur les chevilles.
PAUL, de
l’extérieur. — Camille ! C’est Paul.
CAMILLE — Cessez de cogner
fripouilles !
Qu’on me laisse en paix on
m’a déjà tout pris.
(N’obtenant aucune
réponse, il frappe plus fort. Camille se réveille lentement, s’étire, dolente,
elle tousse. Elle se lève difficilement, allume une lampe à huile et se dirige
vers la porte. Elle s’arme d’un balai clouté.)
Qu’est-ce que vous me
voulez ?
PAUL — Ouvre! Ouvre-moi,
Camille…
CAMILLE — Qui vous envoie
?
Si vous êtes une crapule de
la bande à Rodin je vous conseille de filer.
PAUL — Au nom du ciel,
Camille ouvre, c’est Paul.
(Camille entrouvre
la porte, Paul entre, il l’embrasse. Il porte un manteau de pluie caoutchouté,
de lourdes bottines, une casquette droite à visière. Sous son manteau, sa veste
de costume trop étroite le serre. )
C’est ainsi que tu
m’accueilles, sauvage ! Armée d’un balai au lieu de me tendre les bras.
CAMILLE —Ah, c’est toi ! Ma
parole tu es tombé du lit.
(Elle est prise d’une
quinte de toux.)
PAUL — Cam, nous avons à
parler. Hier ne t’avais-je pas prévenue que je viendrais à 11 heures ?
CAMILLE — Oui tu avais dû
me le dire. Quelle heure est-il donc ?
PAUL, ôte son
manteau de pluie, consulte sa montre à gousset. — Il est 11 heures
passées de quatre minutes.
CAMILLE — Une précision de
coucou suisse.
PAUL, piqué. — Tu veux dire
de fonctionnaire ! Voilà le terme lâché, ce que tu penses, fonctionnaire.
CAMILLE — Puisque comme
Cyrano tu te le sers, je n’ai rien à ajouter.
Pas de commentaire Monsieur
Claudel.
PAUL, prenant conscience de
la tenue de sa sœur. — Que fais-tu en chemise ?
Pétrifiée bleue de
froid.
Couvre donc ce corset
impudique.
(Il attrape une
couverture sur le dossier d’une chaise. Il en enveloppe le corps de sa soeur.)
Tu as dormi demi-nue alors
que tu tousses ? Tu cherches la mort.
Décidément, Camille, tu es
extravagante !
(Paul se dirige vers le
poêle éteint, autour duquel il ne trouve pas de bûche.)
CAMILLE — Tes coups à ma
porte m’ont tirée d’un mauvais rêve.
PAUL — Comment peut-on
rêver dans cette ambiance de banquise !
L’eau qui stagne dans ta
cuvette est quasi gelée.
Tu n’as plus de bois ?
(Il va ouvrir les
volets.)
Laisse au moins pénétrer le
pâle soleil de décembre.
CAMILLE — N’ouvre pas, on
me guette et mes yeux me font souffrir.
PAUL — On n’y voit goutte
dans ton atelier. On refermera tout à l’heure.
CAMILLE — Tu m’as tirée
d’un rêve étrange mon petit Paul, nous étions à Villeneuve, toi et moi, dans le
chemin de sable perdu entre les roches.
Te rappelles-tu les
monstres blancs et gris ?
Dans le bois, la vieille
captive de la pierre, délaissée à jamais au bord de la falaise, face au vide,
statufiée.
Ta voix arrivait jusqu’à
moi étirée par le vent : Camille, Camiiille…
et par je ne sais quel
maléfice tout a basculé
et le sentier s’est
effacé
et le sable est devenu
boue
et un coq s’est mis à
chanter
et ce fut l’aube.
Dans la pureté crayeuse du
matin à cette seconde incertaine qui précède le jour
un fiacre noir s’est arrêté
ici.
Sur le quai.
Les hommes noirs aux mains
crochues ont emporté la statue de Clotho.
Ils l’ont saisie par
surprise mais elle ne s’est pas laissée faire.
Je te jure qu’elle s’est
défendue. Je l’ai bien vue dans le reflet du miroir agiter ses bras décharnés.
La face ricanante de la
vieille décrépite c’était mon visage.
C’était moi, Paul !
Après, j’étouffais dans une
chambre aux fenêtres scellées.
Enclose dans des cris de
femmes menaçantes, les bras enserrés dans une camisole, le cœur mordu par une
souffrance atroce.
Personne pour me sortir du
septième cercle de l’enfer où on m’avait jetée.
Ni toi ni Louise ni maman
ni papa
qui
je crois était mort.
Encore moins l’Autre qui
riait de me voir entravée.
(Elle s’est levée et
s’agite, la couverture tombe.)
Extrait de la lecture musicale
Quatrième de couverture :
La pièce se déroule en un
lieu unique, l'atelier de Camille Claudel, le matin du 6 décembre 1905.
La
veille, une exposition
rassemblant des oeuvres majeures de l'artiste a eu lieu, avenue de la
Madeleine, dans la galerie d'Eugène Blot. Camille, qui a 41 ans, mène une
existence misérable. Elle souffre, depuis plusieurs mois par intermittence,
d’un délire de persécution. Depuis l’automne, elle est atteinte d’une bronchite
sévère.
Son frère, Paul — alors
consul de France en Chine — et plusieurs de ses amis craignent pour sa vie,
d'où l'idée de Blot, son galeriste, d'organiser cette
"rétrospective".
Ce matin-là, Paul vient
visiter sa sœur pour la raisonner afin de mettre fin à ses folies. Cela fait
plus de cinq ans qu’ils ne se sont pas trouvés en tête à tête.
Ensemble, ils vont évoquer
le passé, leurs amours difficiles, discutent d’art, de spiritualité. Paul
s’ouvre à sa sœur de ses tiraillements entre sa foi, son besoin de création et
ses désirs charnels. Ils tentent de renouer les fils de ancienne complicité
mise à mal par la liaison entre Camille et Rodin et par le départ de Paul aux
USA puis en Chine. Camille lui fait alors une étrange demande : l'emmener avec
lui en Orient. Ce voyage aurait-il le pouvoir de sauver Camille de ses maux ?
Paul, dans un élan de tendresse, l’envisage. Il promet de lui écrire, de lui
indiquer la date du rendez-vous pour les rejoindre, lui et sa femme, au
bateau.
Camille ne reçut jamais la
lettre, fut-elle seulement écrite ?
Ce qui s'ensuit — et que la
pièce n’aborde pas — est connu. La jeune femme meurtrie et déçue continua à
s'enfoncer dans son délire jusqu'à la folie et son internement en 1913.
Pour Paul, la
reconnaissance de sa poésie et de son théâtre; pour elle un enfermement
de trente ans en isolement dans un asile psychiatrique. De longues années
d’oubli avant que son talent soit pleinement reconnu du public.
Durée : 1h20
Les personnages: 1H /1F
Camille, 41 ans. Elle s’est
fanée depuis sa séparation d’avec Rodin cinq ans plus tôt. Elle a grossi et
néglige son apparence.
Paul, 37 ans. Consul de
France en Chine il est en congé en France avant de repartir.
Tous les deux ont gardé une
pointe d’accent picard.
Suggestion pour le décor :
Le décor unique est
l’atelier de sculpture de Camille Claudel, Quai Bourbon à Paris.
À jardin, de hautes
fenêtres sur tout un pan de mur fermées par des persiennes intérieures, et la
porte d’entrée donnant sur la cour de l’immeuble.
Des œuvres recouvertes de
linges humides, des plâtres, des cuvettes remplies d’eau.
Une table de bois sur
laquelle sont restées deux bouteilles de champagne vides, une bouteille de vin
et des verres sales. Dans un coin une ombrelle rouge.
Dispersés dans l’atelier :
des chaises, un paravent, un réchaud, une bouilloire, des lampes à huile et des
bougies. Un sofa délabré; une robe de satin rouge jetée sur le dossier,
Sur une sellette, une
esquisse de Persée et la Gorgone.
Près de la porte un balai
clouté.
On est le 6 décembre 1905.
Note d'intention de l’auteur
Tout est dans le texte
et toute tentative de mise en scène doit avant tout s’attacher à la vérité
portée par les mots et l’histoire rapportée. La seule liberté que j’ai prise
avec la réalité est d’imaginer le face-à-face de ce matin-là. La lettre promise
par Paul n’étant qu’une hypothèse qui m’a permis d’énoncer dans la dernière
scène, la position de Paul par rapport au caractère de sa sœur,
laissant place à ses doutes et aux remords.
La figure de ces deux
personnages — artistes géniaux chacun dans leur domaine — doit être respectée
dans leur apparence physique et leur qualité morale. Ainsi, les propos qu’ils
tiennent ne peuvent être infléchis ou interprétés vers des
contre-vérités.
Les raison en sont i)
le respect vis-à-vis de ces personnages historiques que l’on expose au
public, ii) le respect du travail de l’auteur qui s’est appuyée sur une étude
exhaustive des œuvres et des biographies, iii) pour éviter toute poursuite des
héritiers pour propos diffamatoires ou travestissement de la vérité.
La pièce est ancrée dans
une époque : la fin du XIX° siècle.
Cet ancrage est
primordial parce que les propos et les situations sont liés à l’air du temps.
La difficulté pour Camille d’être reconnue est liée à l’époque. Il a fallu
attendre la fin de la guerre de 14 pour que l’émancipation des femmes débute et
ce n’est que dans les années 1970 que leur statut bascule avec la loi Weil sur
l’avortement.
Le scandale provoqué par
la liaison de Paul avec Rosalie Wech est lui aussi dû au puritanisme du début
du XX° siècle. Enfin, l’antisémitisme de la famille Claudel est une résultante
de l’affaire Dreyfus, l’anti maçonnisme qui s’exprime chez Paul et Camille est
dû à l’émergence d’une classe dirigeante (intellectuelle et politique) laïque.
Ne pas oublier que la loi de la séparation de l’église et de l’état date
justement de 1905. Paul Claudel, converti au catholicisme à été la cible
privilégié d’une partie de ces élites. Il en a conçu un grand dépit, de même
que Camille dont une partie des œuvres a été rejetée par « l’administration »
de cette époque.
Il est donc important de
situer l’action dans l’époque concernée, il n’y a aucune transposition possible
sans une perte de sens qui dénaturerait mes propos. Ne pas gommer non plus que
Paul et Camille étaient des paysans et qu’ils le sont restés. Imaginer Paul
Claudel comme un phraseur snob, un salonard serait une grossière erreur.
L’écriture et
l’interprétation
Nul n’ignore que Paul
Claudel a développé un système de versification pour révéler l’oralité de la
pensée, bien mieux que ne le ferait la prose. Il est en cela un précurseur de
l’écriture contemporaine. Pour ma part, j’ai cherché le plus possible de rendre
compte de cela dans la façon dont Paul s’exprime dans la pièce. On y trouve le
rythme, la codification, une certaine poésie avec une recherche de l’oralité.
Si l’expression est lyrique, l’interprétation, elle, ne doit pas verser dans la
grandiloquence.
On gagnera à une mise en
scène épurée afin que l’œuvre de ces génies soit au premier plan, le décor
évoquant la sculpture de Camille. Un juste équilibre entre le montré (décor) et
le dit est souhaitable pour ne pas écraser les personnages et le texte, tout en
laissant au metteur en scène des possibilités immenses, tant sont présents, la
chair et l’esprit.
Ma pièce montre les
personnages à un moment où le désenchantement l’emporte. Ce mot évoque la part
sombre qu’ils abritent. L’évocation des amours mortes, des années de jeunesse
qui ne sont plus là, de la difficulté de l’art. Paul est dans le dépit
amoureux, Partage de Midi ayant été écrit dans un état de « folie », un
sentiment de vacuité. L’adresse de Mesa à Dieu est une supplique, une question
sans réponse. Paul en tant qu’individu cherche une réponse à son désarroi, à
ses besoins charnels, et le mariage lui apparaît être la seule réponse
possible.
Camille, elle, sombre
dans la misère et le délire de persécution avec une perte de ses repères.
Cependant, à sa volonté de créer s’oppose celle de détruire « ses enfants » ses
statues qui lui ont coûté tant de peine. Pourquoi veut-elle détruire ? C’est la
question. Auto destruction, masochisme ou simplement découragement et volonté
de ne pas laisser de traces, ne pas faire d’ombre à Paul.
Cependant, ni l’un ni
l’autre ne perdent le sens de l’humour qui les caractérise.
Un basculement se
produit à la fin de la séquence dans VALSE, avec l’émergence d’un souffle de
joie, de légèreté, l’espoir que les complicités du passé aient un pouvoir
magique. Dire c’est faire. Comme si la parole était performative. Sincèrement,
ils veulent y croire tous deux. C’est cette sincérité qui doit présider à
l’interprétation.
J’ai volontairement
voulu mettre la pièce en place dans ce lieu unique qui est l’atelier de
Camille. Les statues de cette époque (des équarrissages) témoignent d’une
lucidité cruelle sur elle-même et en même temps du génie de l’artiste.
Les mots clés : émotion,
sincérité, réminiscence, humour, partage, art, création, absence, amour,
tourments, désenchantement, lucidité, foi, déraison, légèreté.
Extrait de la pièce.
2
RONDO
La lumière monte sur le
plateau. Au lointain cour, un projecteur éclaire faiblement Camille Claudel,
assoupie en corset et culotte, ses bas roulés sur les chevilles.
PAUL, de
l’extérieur. — Camille ! C’est Paul.
CAMILLE — Cessez de cogner
fripouilles !
Qu’on me laisse en paix on
m’a déjà tout pris.
(N’obtenant aucune
réponse, il frappe plus fort. Camille se réveille lentement, s’étire, dolente,
elle tousse. Elle se lève difficilement, allume une lampe à huile et se dirige
vers la porte. Elle s’arme d’un balai clouté.)
Qu’est-ce que vous me
voulez ?
PAUL — Ouvre! Ouvre-moi,
Camille…
CAMILLE — Qui vous envoie
?
Si vous êtes une crapule de
la bande à Rodin je vous conseille de filer.
PAUL — Au nom du ciel,
Camille ouvre, c’est Paul.
(Camille entrouvre
la porte, Paul entre, il l’embrasse. Il porte un manteau de pluie caoutchouté,
de lourdes bottines, une casquette droite à visière. Sous son manteau, sa veste
de costume trop étroite le serre. )
C’est ainsi que tu
m’accueilles, sauvage ! Armée d’un balai au lieu de me tendre les bras.
CAMILLE —Ah, c’est toi ! Ma
parole tu es tombé du lit.
(Elle est prise d’une
quinte de toux.)
PAUL — Cam, nous avons à
parler. Hier ne t’avais-je pas prévenue que je viendrais à 11 heures ?
CAMILLE — Oui tu avais dû
me le dire. Quelle heure est-il donc ?
PAUL, ôte son
manteau de pluie, consulte sa montre à gousset. — Il est 11 heures
passées de quatre minutes.
CAMILLE — Une précision de
coucou suisse.
PAUL, piqué. — Tu veux dire
de fonctionnaire ! Voilà le terme lâché, ce que tu penses, fonctionnaire.
CAMILLE — Puisque comme
Cyrano tu te le sers, je n’ai rien à ajouter.
Pas de commentaire Monsieur
Claudel.
PAUL, prenant conscience de
la tenue de sa sœur. — Que fais-tu en chemise ?
Pétrifiée bleue de
froid.
Couvre donc ce corset
impudique.
(Il attrape une
couverture sur le dossier d’une chaise. Il en enveloppe le corps de sa soeur.)
Tu as dormi demi-nue alors
que tu tousses ? Tu cherches la mort.
Décidément, Camille, tu es
extravagante !
(Paul se dirige vers le
poêle éteint, autour duquel il ne trouve pas de bûche.)
CAMILLE — Tes coups à ma
porte m’ont tirée d’un mauvais rêve.
PAUL — Comment peut-on
rêver dans cette ambiance de banquise !
L’eau qui stagne dans ta
cuvette est quasi gelée.
Tu n’as plus de bois ?
(Il va ouvrir les
volets.)
Laisse au moins pénétrer le
pâle soleil de décembre.
CAMILLE — N’ouvre pas, on
me guette et mes yeux me font souffrir.
PAUL — On n’y voit goutte
dans ton atelier. On refermera tout à l’heure.
CAMILLE — Tu m’as tirée
d’un rêve étrange mon petit Paul, nous étions à Villeneuve, toi et moi, dans le
chemin de sable perdu entre les roches.
Te rappelles-tu les
monstres blancs et gris ?
Dans le bois, la vieille
captive de la pierre, délaissée à jamais au bord de la falaise, face au vide,
statufiée.
Ta voix arrivait jusqu’à
moi étirée par le vent : Camille, Camiiille…
et par je ne sais quel
maléfice tout a basculé
et le sentier s’est
effacé
et le sable est devenu
boue
et un coq s’est mis à
chanter
et ce fut l’aube.
Dans la pureté crayeuse du
matin à cette seconde incertaine qui précède le jour
un fiacre noir s’est arrêté
ici.
Sur le quai.
Les hommes noirs aux mains
crochues ont emporté la statue de Clotho.
Ils l’ont saisie par
surprise mais elle ne s’est pas laissée faire.
Je te jure qu’elle s’est
défendue. Je l’ai bien vue dans le reflet du miroir agiter ses bras décharnés.
La face ricanante de la
vieille décrépite c’était mon visage.
C’était moi, Paul !
Après, j’étouffais dans une
chambre aux fenêtres scellées.
Enclose dans des cris de
femmes menaçantes, les bras enserrés dans une camisole, le cœur mordu par une
souffrance atroce.
Personne pour me sortir du
septième cercle de l’enfer où on m’avait jetée.
Ni toi ni Louise ni maman
ni papa
qui
je crois était mort.
Encore moins l’Autre qui
riait de me voir entravée.
(Elle s’est levée et
s’agite, la couverture tombe.)
Lecteurs: Louise et Michel Caron, au piano Françoise Samarcq
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire