Théâtre 2017- Camille & Paul Claudel, Folie, un autre mot pour amour édition La Librairie théâtrale)

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Quatrième de couverture :

La pièce se déroule en un lieu unique, l'atelier de Camille Claudel,  le matin du 6 décembre 1905. La
veille, une exposition rassemblant des oeuvres majeures de l'artiste a eu lieu, avenue de la Madeleine, dans la galerie d'Eugène Blot. Camille, qui a 41 ans, mène une existence misérable. Elle souffre, depuis plusieurs mois par intermittence, d’un délire de persécution. Depuis l’automne, elle est atteinte d’une bronchite sévère.
Son frère, Paul — alors consul de France en Chine — et plusieurs de ses amis craignent pour sa vie, d'où l'idée de Blot, son galeriste, d'organiser cette "rétrospective". 
Ce matin-là, Paul vient visiter sa sœur pour la raisonner afin de mettre fin à ses folies. Cela fait plus de cinq ans qu’ils ne se sont pas trouvés en tête à tête. 
Ensemble, ils vont évoquer le passé, leurs amours difficiles, discutent d’art, de spiritualité. Paul s’ouvre à sa sœur de ses tiraillements entre sa foi, son besoin de création et ses désirs charnels. Ils tentent de renouer les fils de ancienne complicité mise à mal par la liaison entre Camille et Rodin et par le départ de Paul aux USA puis en Chine. Camille lui fait alors une étrange demande : l'emmener avec lui en Orient. Ce voyage aurait-il le pouvoir de sauver Camille de ses maux ? Paul, dans un élan de tendresse, l’envisage. Il promet de lui écrire, de lui indiquer la date du rendez-vous pour les rejoindre, lui et sa femme, au bateau. 
Camille ne reçut jamais la lettre, fut-elle seulement écrite ? 
Ce qui s'ensuit — et que la pièce n’aborde pas — est connu. La jeune femme meurtrie et déçue continua à s'enfoncer dans son délire jusqu'à la folie et son internement en 1913. 
Pour Paul, la reconnaissance de sa poésie et de son théâtre;  pour elle un enfermement de trente ans en isolement dans un asile psychiatrique. De longues années d’oubli avant que son talent soit pleinement reconnu du public. 

Durée : 1h20

Les personnages: 1H /1F

Camille, 41 ans. Elle s’est fanée depuis sa séparation d’avec Rodin cinq ans plus tôt. Elle a grossi et néglige son apparence. 
Paul, 37 ans. Consul de France en Chine il est en congé en France avant de repartir.
Tous les deux ont gardé une pointe d’accent picard.

Suggestion pour le décor :

Le décor unique est l’atelier de sculpture de Camille Claudel, Quai Bourbon à Paris.
À jardin, de hautes fenêtres sur tout un pan de mur fermées par des persiennes intérieures, et la porte d’entrée donnant sur la cour de l’immeuble.
Des œuvres recouvertes de linges humides, des plâtres, des cuvettes remplies d’eau. 
Une table de bois sur laquelle sont restées deux bouteilles de champagne vides, une bouteille de vin et des verres sales. Dans un coin une ombrelle rouge. 
Dispersés dans l’atelier : des chaises, un paravent, un réchaud, une bouilloire, des lampes à huile et des bougies. Un sofa délabré; une robe de satin rouge jetée sur le dossier, 
Sur une sellette, une esquisse de Persée et la Gorgone. 
Près de la porte un balai clouté. 
On est le 6 décembre 1905.

Note d'intention de l’auteur

Tout est dans le texte et toute tentative de mise en scène doit avant tout s’attacher à la vérité portée par les mots et l’histoire rapportée. La seule liberté que j’ai prise avec la réalité est d’imaginer le face-à-face de ce matin-là. La lettre promise par Paul n’étant qu’une hypothèse qui m’a permis d’énoncer dans la dernière scène, la position de Paul par rapport  au caractère  de sa sœur, laissant place à ses doutes et aux remords.
La figure de ces deux personnages — artistes géniaux chacun dans leur domaine — doit être respectée dans leur apparence physique et leur qualité morale. Ainsi, les propos qu’ils tiennent ne peuvent être infléchis ou interprétés vers des contre-vérités. 
Les raison en sont i)   le respect vis-à-vis de ces personnages historiques que l’on expose au public, ii) le respect du travail de l’auteur qui s’est appuyée sur une étude exhaustive des œuvres et des biographies, iii) pour éviter toute poursuite des héritiers pour propos diffamatoires ou travestissement de la vérité.
La pièce est ancrée dans une époque : la fin du XIX° siècle.
Cet ancrage est primordial parce que les propos et les situations sont liés à l’air du temps. La difficulté pour Camille d’être reconnue est liée à l’époque. Il a fallu attendre la fin de la guerre de 14 pour que l’émancipation des femmes débute et ce n’est que dans les années 1970 que leur statut bascule avec la loi Weil sur l’avortement.
Le scandale provoqué par la liaison de Paul avec Rosalie Wech est lui aussi dû au puritanisme du début du XX° siècle. Enfin, l’antisémitisme de la famille Claudel est une résultante de l’affaire Dreyfus, l’anti maçonnisme qui s’exprime chez Paul et Camille est dû à l’émergence d’une classe dirigeante (intellectuelle et politique) laïque. Ne pas oublier que la loi de la séparation de l’église et de l’état date justement de 1905. Paul Claudel, converti au catholicisme à été la cible privilégié d’une partie de ces élites. Il en a conçu un grand dépit, de même que Camille dont une partie des œuvres a été rejetée par « l’administration » de cette époque.
Il est donc important de situer l’action dans l’époque concernée, il n’y a aucune transposition possible sans une perte de sens qui dénaturerait mes propos. Ne pas gommer non plus que Paul et Camille étaient des paysans et qu’ils le sont restés. Imaginer Paul Claudel comme un phraseur snob, un salonard serait une grossière erreur.
L’écriture et l’interprétation
Nul n’ignore que Paul Claudel a développé un système de versification pour révéler l’oralité de la pensée, bien mieux que ne le ferait la prose. Il est en cela un précurseur de l’écriture contemporaine. Pour ma part, j’ai cherché le plus possible de rendre compte de cela dans la façon dont Paul s’exprime dans la pièce. On y trouve le rythme, la codification, une certaine poésie avec une recherche de l’oralité. Si l’expression est lyrique, l’interprétation, elle, ne doit pas verser dans la grandiloquence.
On gagnera à une mise en scène épurée afin que l’œuvre de ces génies soit au premier plan, le décor évoquant la sculpture de Camille. Un juste équilibre entre le montré (décor) et le dit est souhaitable pour ne pas écraser les personnages et le texte, tout en laissant au metteur en scène des possibilités immenses, tant sont présents, la chair et l’esprit.

Ma pièce montre les personnages à un moment où le désenchantement l’emporte. Ce mot évoque la part sombre qu’ils abritent. L’évocation des amours mortes, des années de jeunesse qui ne sont plus là, de la difficulté de l’art. Paul est dans le dépit amoureux, Partage de Midi ayant été écrit dans un état de « folie », un sentiment de vacuité. L’adresse de Mesa à Dieu est une supplique, une question sans réponse. Paul en tant qu’individu cherche une réponse à son désarroi, à ses besoins charnels, et le mariage lui apparaît être la seule réponse possible.
Camille, elle, sombre dans la misère et le délire de persécution avec une perte de ses repères. Cependant, à sa volonté de créer s’oppose celle de détruire « ses enfants » ses statues qui lui ont coûté tant de peine. Pourquoi veut-elle détruire ? C’est la question. Auto destruction, masochisme ou simplement découragement et volonté de ne pas laisser de traces, ne pas faire d’ombre à Paul. 
Cependant, ni l’un ni l’autre ne perdent le sens de l’humour qui les caractérise.
Un basculement se produit à la fin de la séquence dans VALSE, avec l’émergence d’un souffle de joie, de légèreté, l’espoir que les complicités du passé aient un pouvoir magique. Dire c’est faire. Comme si la parole était performative. Sincèrement, ils veulent y croire tous deux. C’est cette sincérité qui doit présider à l’interprétation.
J’ai volontairement voulu mettre la pièce en place dans ce lieu unique qui est l’atelier de Camille. Les statues de cette époque (des équarrissages) témoignent d’une lucidité cruelle sur elle-même et en même temps du génie de l’artiste.

Les mots clés : émotion, sincérité, réminiscence, humour, partage, art, création, absence, amour, tourments, désenchantement, lucidité, foi, déraison, légèreté.

Extrait de la pièce.
2

RONDO

La lumière monte sur le plateau. Au lointain cour, un projecteur éclaire faiblement Camille Claudel, assoupie en corset et culotte, ses bas roulés sur les chevilles. 
PAUL, de l’extérieur. — Camille ! C’est Paul.
CAMILLE — Cessez de cogner fripouilles !
Qu’on me laisse en paix on m’a déjà tout pris.
 (N’obtenant aucune réponse, il frappe plus fort. Camille se réveille lentement, s’étire, dolente, elle tousse. Elle se lève difficilement, allume une lampe à huile et se dirige vers la porte. Elle s’arme d’un balai clouté.) 
Qu’est-ce que vous me voulez ? 
PAUL — Ouvre! Ouvre-moi, Camille… 
CAMILLE — Qui vous envoie ? 
Si vous êtes une crapule de la bande à Rodin je vous conseille de filer.
PAUL — Au nom du ciel, Camille ouvre, c’est Paul.
 (Camille entrouvre la porte, Paul entre, il l’embrasse. Il porte un manteau de pluie caoutchouté, de lourdes bottines, une casquette droite à visière. Sous son manteau, sa veste de costume trop étroite le serre. )
C’est ainsi que tu m’accueilles, sauvage ! Armée d’un balai au lieu de me tendre les bras. 
CAMILLE —Ah, c’est toi ! Ma parole tu es tombé du lit.
(Elle est prise d’une quinte de toux.)
PAUL — Cam, nous avons à parler. Hier ne t’avais-je pas prévenue que je viendrais à 11 heures ?
CAMILLE — Oui tu avais dû me le dire. Quelle heure est-il donc ?
PAUL, ôte son manteau de pluie, consulte sa montre à gousset. — Il est 11 heures passées de quatre minutes.
CAMILLE — Une précision de coucou suisse.
PAUL, piqué. — Tu veux dire de fonctionnaire ! Voilà le terme lâché, ce que tu penses, fonctionnaire.
CAMILLE — Puisque comme Cyrano tu te le sers, je n’ai rien à ajouter. 
Pas de commentaire Monsieur Claudel. 
PAUL, prenant conscience de la tenue de sa sœur. — Que fais-tu en chemise ? 
Pétrifiée bleue de froid. 
Couvre donc ce corset impudique.
(Il attrape une couverture sur le dossier d’une chaise. Il en enveloppe le corps de sa soeur.)
Tu as dormi demi-nue alors que tu tousses ? Tu cherches la mort.
Décidément, Camille, tu es extravagante !
(Paul se dirige vers le poêle éteint, autour duquel il ne trouve pas de bûche.)
CAMILLE — Tes coups à ma porte m’ont tirée d’un mauvais rêve.
PAUL — Comment peut-on rêver dans cette ambiance de banquise !
L’eau qui stagne dans ta cuvette est quasi gelée.
Tu n’as plus de bois ?
 (Il va ouvrir les volets.)
Laisse au moins pénétrer le pâle soleil de décembre.
CAMILLE — N’ouvre pas, on me guette et mes yeux me font souffrir.
PAUL — On n’y voit goutte dans ton atelier. On refermera tout à l’heure.
CAMILLE — Tu m’as tirée d’un rêve étrange mon petit Paul, nous étions à Villeneuve, toi et moi, dans le chemin de sable perdu entre les roches.
Te rappelles-tu les monstres blancs et gris ? 
Dans le bois, la vieille captive de la pierre, délaissée à jamais au bord de la falaise, face au vide, statufiée. 
Ta voix arrivait jusqu’à moi étirée par le vent : Camille, Camiiille…
et par je ne sais quel maléfice tout a basculé 
et le sentier s’est effacé 
et le sable est devenu boue 
et un coq s’est mis à chanter
et ce fut l’aube.
Dans la pureté crayeuse du matin à cette seconde incertaine qui précède le jour
un fiacre noir s’est arrêté ici. 
Sur le quai.
Les hommes noirs aux mains crochues ont emporté la statue de Clotho.
Ils l’ont saisie par surprise mais elle ne s’est pas laissée faire.
Je te jure qu’elle s’est défendue. Je l’ai bien vue dans le reflet du miroir agiter ses bras décharnés.
La face ricanante de la vieille décrépite c’était mon visage.
C’était moi, Paul !
Après, j’étouffais dans une chambre aux fenêtres scellées. 
Enclose dans des cris de femmes menaçantes, les bras enserrés dans une camisole, le cœur mordu par une souffrance atroce.
Personne pour me sortir du septième cercle de l’enfer où on m’avait jetée.
Ni toi ni Louise ni maman ni papa 
qui 
je crois était mort.
Encore moins l’Autre qui riait de me voir entravée.
(Elle s’est levée et s’agite, la couverture tombe.)



Extrait de la lecture musicale

Lecteurs: Louise et Michel Caron, au piano Françoise Samarcq

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